Voir Banyuls et revivre
Les catalans de Terres des Templiers se sont dit "Les parisiens sont des rustres (des "gabatchs"), mais c'est quand même dommage qu'ils ne boivent pas nos vins de Collioure et de Banyuls". Alors ils nous ont invité. Ils ont eu raison. Maintenant on va boire leurs vins. Et toi aussi, quand tu auras lu ça. Si, si, je te jure. (Temps de lecture estimé : 8 minutes. Joie de vivre garantie)
C'est sous une pluie battante qu'on est parti de Paris le 11 octobre à l'aube. Une heure d'avion plus tard, le pantalon humide collé aux cuisses, on arrivait à Perpignan. On s'est pris d'un seul coup 20 degrés de plus sur la peau et beaucoup de soleil sur la tête. Tout ce ciel bleu, ça faisait mal aux yeux. Et là on a découvert un coin de France qui, jusque là, n'existait pas. Faut dire, y'a pas de liaison TGV depuis la Gare de Lyon, donc on n'y allait pas. Quelle erreur !
Ce week-end d'arrière-saison béni des dieux nous a laissé songeur. Mais pourquoi vit-on dans la grisaille et les particules fines alors qu'ici il y a la mer, la montagne, le soleil, des criques, des collines couvertes de vignobles en terrasse ? On n'a pas vraiment sur répondre. On savait seulement qu'on n'avait pas tellement envie de rentrer. On savait que rien qu'avec ça Banyuls nous avait déjà un peu conquis. Il y a un dieu à Banyuls. Il était là ce week-end. Et puis il y a un accent aussi. Celui du Midi. Essaie te le mettre dans la tête pour bien lire cet article.
Le tour des vignes avec Laurent Barreda, un des vignerons qui dirige le Groupement Interproducteurs Collioure-Banyuls
Terres des Templiers, du terroir à l'An 2014
Terres des Templiers est un acteur historique des appellations Collioure et Banyuls (depuis 1950). A eux seuls ils représentent 75% des vignes de l'aire d'appellation. C'est la (très) grosse structure coopérative du coin qui fédère plus de 600 vignerons. Celle que les 25% restant n'aiment pas forcément. Terres des Templiers c'est un peu comme Hollywood que les petits réalisateurs indépendants regardent du coin de l'oeil, sans jamais tout à fait oublier qu'avoir une telle locomotive est aussi une chance pour une appellation. A condition que la locomotive tourne bien. Coup de bol, la locomotive, présidée par des vignerons, s'est trouvé un bon mécano.
Le mécano est arrivé en 2002. Il avait déjà fait un stage sur place auparavant. Entre temps il avait quitté ses terres bordelaises, du côté de Castillon-la-Bataille, pour aller se faire la main au Chili. Pour valider son diplôme d'oenologie il lui fallait faire un stage à plus de 50 kilomètres de Bordeaux. Il ne savait pas où. On lui a dit qu'on avait le Chili pour lui, qu'il fallait partir la semaine d'après. Il est parti. Il est resté. 6 ans. Il a monté un gigantesque chai pour une winerie qui fédère 500 hectares de vignes. A 25 ans, ça passait ou ça cassait. C'est passé. Il a alors senti que son profil intéressait. Il a failli rentrer à Bordeaux, mais il est allé à Banyuls, chez Terres des Templiers.
Le mécano c'est Jauffrey Canier (à droite), ici sous l'oeil attentif de son collègue Damien Malejacq
"De mica en mica s'omple la pica" (Petit à petit l'oiseau fait son nid)
Le mécano c'est donc le Directeur technique-Maître de Chai. Il s'appelle Jauffrey Canier. Il est chaleureux. Mais pas trop. Disons réservé. Un bordelais catalanisé. Il est surtout hyper-pro. Le travail d'abord. On se passera la main dans le dos si on a le temps. Pas du tout atteint du virus "Ohé, "xaval", tu as le feu ou quoi, on verra demain". Il est au boulot le dimanche à 8 heures. Bon, c'est vrai, c'est la saison des cuves qui fermentent. Il ne veut pas les laisser seules. On sent qu'il aime son travail. Qu'il est fier du grand projet qu'il a contribué à édifier.
Il y a une grosse dizaine d'années, certains à Cellier des Templiers (c'est comme ça que ça s'appelait avant) ont compris que dans 2002 il y a 2000, et qu'on venait donc de passer au XXIème Siècle. Certes, les toiles d'araignée, les foudres vieux de 200 ans et les récits des anciens c'est Banyuls. Mais ils se sont dit que Banuyls ça pouvait aussi être les Iphone et les cuves thermorégulées, Internet et la stabulation au froid. Alors ils ont décidé de changer pas mal de choses. Evidemment, il a fallu tordre beaucoup d'oreilles. Mais aujourd'hui on est en 2014 et Terres des Templiers a frappé un grand coup pour entrer dans le XXIème Siècle.
Qu'un vent nouveau souffle sur le Mas Ventous
Ils ont construit en 2011 un nouveau cuvier, le Mas Ventous (dire "Masse Ventousse"). On voit que c'est neuf. C'est posé là, au milieu des collines. Mais ça ne jure pas. Ca respire la modernité intelligente et l'écologisme précurseur. Ils ont juste renoncé à l'energie solaire. Mais sinon c'est zéro rejet. Le site a sa propre station d'épuration de l'eau. C'est un projet à 12 millions d'Euros financé pour moitié en subventions diverses.
Seul un gros emprunt de 5 millions fait craindre à certains que la barque, déjà chargée de dettes, ne coule. Et depuis mai 2014 ça chauffe un peu en interne. La politique commerciale, qui privilégie la vente directe avec un réseau de VRP, fait débat car les vins de Terres des Templiers ne se trouvent pas du tout en boutiques, très peu en restauration, et ne sont quasiment pas exportés. Si on comprend l'intérêt de se tenir éloigné de la Grande Distribution, il est surprenant qu'ils ne s'appuient pas du tout sur un réseau de cavistes sélectionnés. On sent qu'à ce niveau là il y a un peu de flottement, et sans doute pas mal de débats.
Reste que depuis 2011 Terres des Templiers a ce cuvier extraordinaire pour faire d'excellents vins. Ceux de tous les jours et ceux des grandes occasions. On a beau dire que le vin se fait à la vigne, avoir le bon outil pour pour la vinification n'est pas superflu. C'est même souvent ce qui fait la différence. Ici, tout a été minutieusement pensé pendant 18 mois, avec l'intervention d'ergonomes, pour simuler toutes les tâches à venir. Ils ont réfléchi à tout : les accès, les escaliers, les passerelles, y compris leur largeur. Tout a été pensé dans les moindres détails pour faire le meilleur travail possible, de l'arrivée des raisins jusqu'à la mise en bouteilles.
C'est un raisin abandonné, qui a vécu sans se retourner, sûr que le vin a été inventé, pour lui, cette nuit
Au départ les vignerons ont un peu râlé. Avant la cave leur payait le raisin au kilo et au degré. Si c'était trop mûr ils étaient mieux payés. Une aberration. Maintenant la structure est beaucoup plus regardante et a déterminé des qualités qui déterminent un prix. Le raisin doit être juste mûr. C'est plus de contraintes pour les vignerons, qui doivent rendre des comptes, mais aussi une émulation qui les pousse vers le haut, avec au final des vins plus précis, des sélections parcellaires, et même du bio, puisque l'outil permet désormais de travailler ces raisins là indépendamment.
Quand on visite ce Mas Ventous on pense illico "C'est pas possible qu'avec un outil pareil les types ne fassent pas des vins parfaits". Trop parfaits ? Jauffrey Canier se défend que ça puisse tuer un certain romantisme du vin. Ici aussi on prend des risques, on fait des essais. On sait juste exactement ce que l'on fait, sans devoir s'en remettre à la providence.
Pressoirs, cuves, embouteillage, laboratoire, dégustation, directeur technique : tout a été penser pour l'efficacité
Bon alors, on boit quoi ?
Les vins justement, parlons-en. Les Collioure sont des vins secs typiques de ces régions très sudistes. Il y a du blanc et du rosé, évidemment. Et beaucoup de rouge (70% de la production) : grenache noir, mourvèdre, syrah, carignan, cinsaut. Là où ils sont forts c'est qu'on craignait la mixture pleine de soleil, qui te chauffe le palais et te tape un peu la tête. Pas du tout. Jauffrey le mécano est trop malin (Barreda l'appelle aussi "Merlin l'Enchanteur"). Il aime le fruit, veut garder la fraîcheur. Donc ça sent évidemment les épices et le poivre, mais on ne tartine pas à la barrique neuve, on cherche la vivacité, la précision, l'équilibre. Déjà que le soleil tape pas mal, c'est pas la peine d'en rajouter dans la bouteille.
Tout comprendre sur le Banyuls en 3 paragraphes
Mais Terres des Templiers c'est surtout du Banyuls. Ah le Banuyls ! N'ai pas honte si tu ne connais pas, nous on n'en savait pas grand-chose. C'est du Vin Doux Naturel. Ca veut dire que c'est un peu plus alcoolisé que le vin classique. Et un peu plus doux aussi, tu l'auras compris.
On ne va pas te fourrer la tête avec trop d'explications, mais sache que ça se fait en rajoutant au jus de l'alcool neutre d'originique vinique au moment de la fermentation. Ca la bloque, empêchant les levures de transformer tout le sucre du raisin en alcool. Tout le truc, c'est de décider à quel moment de la fermentation des raisins tu le rajoutes pour obtenir un équilibre alcool/sucre. Et après tu joues sur les contenants d'élevage : bois, pas bois, 220 litres ou 450 ou 685, 6 mois dans l'une, 3 mois dans l'autre, oxydation, pas oxydation. Le mécano et ses équipes s'éclatent !
A la fin tu as plein de Banyuls différents. Tu n'as pas toutes les couleurs de la nature mais presque : du jaune poire, de l'orange caramel, du rouge noir, du rouge fluo. C'est ça qui est bien avec le Banuyls : tu es sûr d'en trouver au moins un qui te plait. Si tu as un peu de "diners" (de l'argent) tu peux même t'en payer des très vieux.
Nous on s'est particulièrement éclaté avec deux Banyuls.
Le Roumani Doré, un classique. 95% grenache blanc. Une magnifique couleur, entre caramel et ambre. 5 ans d"élevage. Ca sent le coing, les agrumes confis, les fruits secs. Belle viscosité. Longueur en bouche. "Punyeta" (Merde), c'est bon, j'en reveux !
On s'est aussi bien entendu avec le Président Henry Vidal. Une cuvée prestige de grenache noir. En ce moment ils vendent le 2002 parce qu'ils font 8 ans d'élevage. Là on est déjà dans le plus costaud. C'est noir-rouge à reflets acajou. Y'a un peu de tout : du chocolat, de la gentiane, des épices. En fait tu sais pas. T'en prends une gorgée, ça goutte un truc. T'en prends une autre, ça goutte autre chose. C'est très complexe grâce à un mutage spécial. Tu sors du placard le cacao 70% et le cigare et tu n'as plus qu'à te rouler par terre (tu fais gaffe de ne pas brûler le tapis quand même). C'est Prestige et ça vaut même pas 40 Euros. Le Roumani Doré c'est même pas 20. Le rapport qualité/prix est exceptionnel !
Mais tu as compris : il n'y en a pas chez le caviste. Il faut obligatoirement passer par leur site Internet et faire venir quelqu'un chez toi !?!? Ou alors il y a la boutique de Banuyls (mais c'est loin) et les foires et salons (mais c'est pas tout le temps). Nous on leur a dit : c'est pas pratique ! Mais bon, on est parisien, on fait rien comme les autres...
Si le Catalan n'a jamais le cafard, c'est qu'il aime la fanfare
On pourrait te raconter beaucoup d'autres choses. On a rencontré de nombreux catalans. On ne peut pas te parler de chacun mais ils nous ont bien plu. Bon, le catalan est orgeuilleux, faut pas croire. Mais il comprend qu'il faut qu'il s'ouvre, qu'il ne peut plus garder ses bons produits que pour lui. Il a compris que quand le "gabatch" vient le voir il faut qu'il soit un peu sympa. Et il sait l'être. Seulement faut pas lui manquer de respect. "T'es pas à Paris là le "gabatch", faut marcher plus doucement. Et nous parler gentiment aussi." En même temps, faut pas se démonter. Le catalan aime bien les "bocamoll" (les grandes gueules). Si t'as du répondant c'est mieux.
Quand j'étais petit, l'école ça passait après les vignes. Mais on est pas sortis plus cons que les autres.
Nous on te dit d'y aller dans le 66. Si t'as pas de bol t'auras peut-être la tramontane, le vent qui rend fou. Mais tu finiras sûrement comme nous, avec du bleu plein les yeux. Tu reviendras triste d'être parti. A ce moment là tu sortiras une bouteille de Banuyls, tu te serviras un verre, tu mettras de la musique, et tu auras des souvenirs plein la tête. Tu ne sauras plus quoi en faire. Tu auras la petite larme qui coule, là, sur la joue gauche.
Et si tu n'y es pas allé, c'est pas grave. Le Banyuls ça donne envie de se payer un billet d'avion. Tu feras juste gaffe de ne pas finir la bouteille tout(e) seul(e). Faut pas déconner. Invite des ami(e)s. Pleurer ou rire, c'est meilleur à plusieurs. Et comme diraient les catalans : "La sort no ès de qui la cerca, ès de qui la troba".
Allez, musique, photos, joie de vivre (on te l'avait dit) !