Suite de nos aventures au Domaine Georges Noëllat de Vosne-Romanée à l'occasion des vendanges 2014.
Dans l'épisode précédent on a vu le travail à la cuverie. L'autre équipe est composée des coupeurs et des porteurs. Les coupeurs ce sont une douzaine de gars (dont quelques femmes) dont le boulot est d'aller dans les différentes parcelles couper les raisins sur les pieds de vigne. Des vendangeurs quoi ! Comme ils n'étaient pas assez nombreux au départ, une task force de 8 vietnamiens est rapidement venue en renfort. Une équipe bien rodée, qu'on n'a pas vu à l'oeuvre, mais dont on a entendu que du bien, même si tout le monde s'acharnait mystérieusement à les appeler "les chinois".
Les vendanges c'est surtout ça : des vignes et des gens dedans qui travaillent (ici Aux Cras à Nuits)
Couper, c'est le boulot de base des vendanges. On l'a fait aussi. Un peu au départ, une heure le matin, pour rire, et profiter du soleil qui était généreux pendant ces quelques jours de septembre. On l'a fait aussi le dernier jour, une matinée entière, car il fallait finir. Bon, là, on avait moins envie de rire. Il faut le dire, physiquement, couper, c'est très costaud. En plus les raisins se trouvent très bas en Bourgogne (ça n'est pas le cas dans toutes les régions). Soit on se pète le dos, soit on se fait des cuisses en béton armé. Il parait qu'après deux jours on a pris le rythme. Mais nous on n'a pas eu le temps de le prendre.
Ca a l'air bucolique comme ça, mais ils n'ont pas volé leur pause casse-croûte
Couper est un travail assez répétitif que chaque domaine organise différemment. Là, l'équipe du domaine était passée dans les vignes une semaine avant pour enlever le "pas beau". Du coup les coupeurs avaient moins à réfléchir. Et Maxime Cheurlin préfère qu'on trie sur la table plutôt que directement sur les pieds, car il est difficile de faire en sorte que chaque coupeur trie de façon homogène au moment de la coupe. Certains laissent tout passer tandis que qu'autres jettent la moitié du raisin. Donc, le plus simple, c'est de tout couper, ou presque, et de trier à la cuverie.
Allez les gars on s'active, il faut que tout soit rentré ce soir (Christian, Christian & "Fox")
Au-delà du travail, les vendanges c'est une véritable aventure humaine. On gros on passe une semaine quasiment 24 heures sur 24 avec les gens, mis à part les 7 heures qu'on prend pour dormir. On a beaucoup aimé cet aspect là. Déjà parce que, même si on a peu d'éléments de comparaison, on a beaucoup apprécié l'ambiance familiale du domaine qui correspond à l'idée que l'on se fait de la Bourgogne. On ne se fait pas d'illusions non plus, l'ambiance ne doit pas être la même partout, et certains vignerons ont manifestement la réputation d'être assez rustiques avec leur personnel.
Puisqu'on vous dit qu'on est bien là au Domaine Georges Noëllat (Anne-Cécile Cheurlin et Joséphine)
Mais ici c'est un peu la famille. D'une part parce que les vendanges se font véritablement en famille. Anne-Cécile Cheurlin, la soeur de Maxime, lui prête main forte et s'occupe plus particulièrement des vins blancs. Francis Cheurlin, le père, est également venu plusieurs fois depuis l'autre domaine de la famille en Champagne (Champagnes Cheurlin-Noëllat), histoire de garder un oeil sur fiston qui se débrouille d'ailleurs très bien tout seul.
D'autre part parce que l'équipe est quasiment la même d'une année sur l'autre. Fidélité à Marie-Thérèse Noëllat, la grand-mère de Maxime, qui gérait auparavant le domaine. Elle n'était pas là pour la première fois à cause de quelques ennuis de santé. On sentait que tout le monde se connaissait peu ou prou. Il y avait évidemment ceux qui travaillent à l'année sur l'exploitation. Arnaud, le chef de culture, qui n'a pas sa langue dans sa poche et aime bien provoquer ses collègues. Christian, le tractoriste, à qui il ne faut surtout pas casser les pieds quand il a des ennuies mécanique. On en a fait l'expérience. D'ailleurs, globalement, il vaut mieux ne pas l'importuner. Fox, le joyeux loustique, tâcheron au domaine, qui se réjouit de piloter un engin pendant les vendanges (et qui n'est pas passé loin de la gamelle quand une roue de tracteur a cédée).
Parfois la roue pète alors il faut pousser
A côté des permanents, on a toute une bande de lurons, plus ou moins joyeux, qui prêtent main forte le temps des vendanges. On a déjà évoqué Djilali et Laurent qui s'occupent de l'essentiel de la manutention en cuverie. Il y a aussi les jeunes retraités des Compagnies Républicaines de Sécurité, Christian et Vincent ("Vissan" avé l'assent du midi), qui sont porteurs dans les vignes. On a pu constater que quelques dizaines d'années de caserne les ont bien formés au travail de groupe et à la vie en communauté. D'ailleurs, ils ont un peu effrayé Joséphine, la jeune stagiaire bordelaise, bien née, sérieuse et multi-diplômée, qui a eu du mal avec le côté parfois graveleux de la plèbe. On sentait bien que la vie de caserne, ou même simplement ce genre de promiscuité collective, n'était pas son élément naturel. Julien, le jeune contrat de qualife du domaine, bien que très réservé, était pour sa part très à l'aise, pas du tout impressionné par l'OM-mania de Laurent à laquelle il répondait par un total look PSG.
Les vendanges se sont de solides gaillards parfois un peu paillards
Et enfin, last but not least, il y a Maxime Cheurlin, le boss, qui garde un oeil sur tout du haut de ses 22 ans. Depuis qu'on l'a rencontré il n'a cessé de nous impressionner. Il a repris le domaine à 18 ans après être passé par la fameuse Viti de Beaune. Certes, il est du sérail. Papa garde un oeil vigilant sur son ouaille. Il le décharge notamment des tâches administratives et lui montre les ficelles. Mais quand on pense au niveau d'immaturité qui était le notre à son âge, on ne peut qu'être admiratif de l'étonnante sagesse avec laquelle ce jeune homme prend cette exploitation de presque 7 hectares à sa charge.
Prenez et buvez en tous : ceci est mon vin, livré pour vous.
Maxime est un taiseux. Et sans doute un orgueilleux. Il ne laissera jamais rien paraitre de ses angoisses ou de ses doutes. Il assume sa charge avec beaucoup de responsabilité et semble donc ne jamais douter de rien. Il nous semble d'ailleurs habité d'un instinct assez sûr, considérant cette activité qui consiste à faire du vin avec beaucoup de naturel. Pas besoin de recettes, de gourou, d'oenologue conseil, de pied de cuve "au cas où", ou de je ne sais quoi. Faire du vin c'est simple comme de la cuisine. Il faut être méthodique, avoir de l'intuition (et quelques analyses), et ne surtout pas trop lâcher les cuves des yeux pour intervenir au bon moment. Pas plus, pas moins.
On retrouve chez lui cet espèce de bon sens paysan qui est une source d'émerveillement pour nous, les petits gars de la ville. Faire fermenter du raisin est pour lui aussi naturel que pour nous de prendre le métro. Un truc qu'il voit faire depuis qu'il est gamin, entre la Champagne et la Bourgogne. Sous ses dehors placides, on l'aura quand même vu un peu ému lors de la paulée, le banquet de fin de vendanges. Christian, le commandant (de CRS), a fait un beau discours, rappelant l'importance et l'absence de Marie-Thérèse, et le sérieux avec lequel Maxime a repris le flambeau. Puis Maxime a reçu quelques cadeaux. Il était touché, ça se voyait, même de loin. Mais évidemment, si vous lui demandez, il vous dira que non. Donc ne lui demandez pas.
La Paulée : Christian a fait un beau discours, Maxime a eu de beaux cadeaux et les meilleurs ont chanté de belles chansons
Voilà, ces vendanges 2014 furent une belle expérience. On est revenu fourbu et il nous a fallu moins de 4 jours pour tomber malade. Comme quoi, les travaux des vignes, même en mode table de tri, c'est un peu rude. Mais on a beaucoup appris, heureux de mettre les mains dans le réel, d'appréhender la matière, d'expérimenter concrètement ce moment millénaire de la vendange, instant magique où l'on ramasse le travail de toute l'année, loin des salons et des dégustations. On est confiant que Maxime Cheurlin fera du bon vin en 2014, comme il en a fait les 4 années précédentes. Il en fera juste un peu plus, enfin.
On ne va pas vous vanter le domaine, on n'est pas là pour ça, mais on sent bien qu'un type de 22 ans qui en est déjà là où il en est, a une marge de progression fabuleuse. Reste que la route est longue, et semée d'embuches. "Rien ne sert de courir, il faut partir à point" disait le fabuliste. Pour le départ c'est bon. Les vendanges 2014 c'est bon aussi. Alors donc, bon vent pour la suite. Et rendez-vous bientôt autour d'un "canon". Tiens, un Boudots 2012 par exemple (Nuits-Saint-Georges 1er Cru). Georges Noëllat évidemment. Vous m'en direz des nouvelles.
Quelques photos pour se dire au revoir avec le chaînon manquant entre septembre 1987 et septembre 2014 : une chanson !
Le tube de la rentrée 1987 qu'on espère entendre tourner en boucle au Domaine Georges Noëllat
Jeune vigneron et ses bêtes
Du haut de ce muret, Joséphine contemple quelques siècles de viticulture (La Tâche)
Francis, l'homme de l'ombre
The sun is always shining on Vosne-Romanée. We'll be back !