Un Saint, des millions ! Episode 4 : La belle écurie du Cheval Blanc.
Après l'Angélus, le petit groupe mené par Thierry Desseauve s'est rendu au Château Cheval Blanc où l'attendait une grande dégustation, une visite, un dîner et pas mal d'explications sur la viticulture à la propriété...
Cheval Blanc est plus qu'une propriété. C'est désormais une marque, qui se décline d'ailleurs en hôtels de luxe "made in LVMH" comme celui qui vient d'ouvrir aux Maldives.
Le domaine viticole appartient à 50/50 à Albert Frère et Bernard Arnault, deux des plus riches financiers européens, qui l'ont acheté aux héritiers de la famille Fourcaud-Laussac en 1998 pour 155 millions d'Euros. Cheval Blanc partageait alors avec Château Ausone le privilège exclusif d'être Premier Grand Cru Classé A depuis 1955.
Au milieu des années 2000 ils commencent à réfléchir à un nouveau chai avec leur directeur Pierre Lurton. Celui-ci avait été recruté en 1991 par les anciens propriétaires après avoir fait ses classes sur la propriété familiale de Clos Fourtet. Manifestement les vins ne sont pas encore au niveau souhaité à cette époque. Un nouvel outil serait le bien venu. Et dans la course au "C'est moi qui ai le plus beau chai" ils frappent un grand coup.
Ils embauchent Christian de Portzamparc, lauréat du prix Pritzker à 50 ans, qui leur conçoit un chai de génie. On adorerait vous dire du mal de ces milliardaires qui se paient à coups de millions (14 dans le cas présent) des chais plus prétentieux les uns que les autres, mais là c'est impossible : ce chai est une merveille.
On se doute que c'est un outil de travail extraordinaire pour les équipes de Cheval-Blanc, mais c'est aussi une incontestable réussite architecturale pour Saint-Emilion. Le chai est une sorte de vaisseau spatial blanc, tout en courbe et en ondulations, qui s'intègre parfaitement au paysage et aux autres bâtiments plus anciens, dont une chapelle. Il offre un toit terrasse que l'on gagne par deux escaliers majestueux et qui permet d'observer les vignes alentours, ainsi que le mur écarlate du nouveau chai de La Dominique qui lui ne fait pas dans la discrétion.
Evidemment, chez Cheval Blanc, tout est carré. On sent que ça tourne rond et on est très bien accueilli. Notre séjour ici commence par une grande dégustation organisée par Bettane & Desseauve de 11 vins de femmes. Idée bien dans l'air du temps qui va s'avérer particulièrement pertinente. On goûte donc 11 vins de toutes les régions de France, chaque femme venant présenter son vin pendant une dizaine de minutes. Une dégustation tellement magistrale qu'on vous en fera un compte rendu vin par vin pendant les vacances de Noël.
On passe ensuite à la visite des installations techniques avec Kees Van Leeuwen, docteur en oenologie, qui ne travaille pas à proprement parler à Cheval Blanc mais est leur consultant pour la viticulture. Ce néerlandais au physique longiligne se lance alors dans une grande explication du travail qu'ils effectuent à la vigne. Cours magistral que certains ont du mal à suivre après notre marathon dégustatoire, mais qui s'avère pourtant particulièrement clair. Kees n'est pas prof à Bordeaux Sciences Agro pour rien.
Il nous explique minutieusement le terroir de Cheval Blanc, à la fois composé de graves, d'argiles et de sables. On plante généralement des cépages tardifs sur les graves, comme le Cabernet Franc qui représente 60% de l'encépagement à Cheval Blanc, tandis que les argiles plus froides sont destinées aux cépages qui murissent plus vite, comme le merlot, ici minoritaire. Mais surprise, quand notre Hollandais volant est arrivé, il a constaté que c'est exactement l'inverse qui avait été fait.
Ils se sont donc lancé dans de minutieuses études de l'adéquation entre chaque cépage et chaque sol, analysant tout dans le détail, du régime hydrique à la maturité des baies. Ils en ont tiré des enseignements qui leur ont permis de déterminer les replantages nécessaires, notamment sur les sables, et d'effectuer un gros travail de fond sur la qualité des clones. Ce travail initié dans les années 90 se poursuit encore aujourd'hui.
La visite se poursuit dans l'immense salle principale qui contient les plus grandes cuves en ciment sur les 53 que compte le chai (pour 44 parcelles d'un seul tenant, soit 37 hectares de vigne). Le lieu est vraiment impressionnant. Si on imagine l'outil incroyable que ça constitue pour les équipes, c'est aussi un lieu beau en soi, presque monacal en ce samedi soir. Un mélange de cathédrale et de vaisseau spatial.
Kees Van Leeuwen poursuit ses explications sur le travail de vinification. La propriété ne s'interdit pas l'usage de levures sélectionnées pour les fermentations alcooliques car les raisins mûrs ont des PH élevés et sont donc sensibles, notamment au brettanomyces qui entrainent des déviations aromatiques. Pas de risque inutile à Cheval Blanc. Les fermentations malolactiques se font elles en cuves plutôt qu'en fûts pour éviter le boisage excessif.
On écourte un peu la visite, et le cours de Kees, car l'heure tourne. Une gigantesque table de gala tout en longueur a été dressée pour la bonne quarantaine de participants au dîner. L'occasion pour nous de converser longuement avec la discrète Christine Vernay du célèbre domaine Vernay de Condrieu. L'occasion aussi de goûter enfin les vins du domaine.
Le Petit Cheval 2006, année chaude, est composé à 60% de merlot. La bouche est massive mais reste fraîche, notamment grâce à l'apport des cabernets francs sur la finale. Le vin est très agréable à boire.
On goûte ensuite le Cheval Blanc 2000, millésime qui a connu un printemps difficile mais un bel été à une époque où la propriété ne possédait pas les moyens techniques d'aujourd'hui. Le vin est dense et encore assez tannique. C'est évidemment bon. Mais on est content que la conversation avec Christine Vernay ne nous laisse pas le temps de nous interroger sur le rapport qualité/prix du breuvage.
On termine sur un Château d'Yquem 1996, le roi des Sauternes, en tous cas le plus célèbre. C'est là aussi très riche et très aromatique, tout en volume et en intensité plus qu'en fraicheur. Une belle façon de conclure ce dîner.
On quitte finalement à regrets Cheval Blanc où l'on a passé un très grand moment. On est ravi d'avoir visité cette propriété dont il ne doit malheureusement pas être facile de se faire ouvrir les portes. Dommage, car ce chai est vraiment magnifique. On ne doute pas que le travail d'excellence qui est accompli va rendre les vins de plus en plus précis et exceptionnels. Reste que les prix sont eux aussi exceptionnels. Le vaisseau spatial Cheval Blanc a quitté la terre depuis un moment pour visiter des galaxies tarifaires très lointaines. Le genre de voyage plutôt réservé aux cosmonautes chinois, russes ou brésiliens. On leur souhaite bon voyage.